Par Bernhard Rüdiger
Le travail de recherche en école d’art se fonde sur la longue tradition de la recherche artistique, une activité qui, sous des formes et associations diverses, a toujours été pratiquée dans ce qu’on appelle l’art moderne – c’est-à-dire une époque qui va au moins du Traité de la peinture de Léonard de Vinci jusqu’à nos jours.
2Depuis le xvie siècle, le travail créatif individuel a été accompagné d’une activité de recherche analytique sur l’art et à partir de l’art. Cette activité s’adresse à une communauté d’artistes et de chercheurs qui n’ont pas toujours été appelés à travailler dans le domaine académique. Elle a produit une variété importante de formes à travers lesquelles des travaux de recherche ont été diffusés. Du traité aux manifestes des Futuristes ou de Lucio Fontana, de l’interview aux textes critiques de Barnett Newman et de Jeff Wall, du livre d’art à l’édition des valises de Duchamp, de la revue d’artiste 391 de Francis Picabia à la forme Atlas de Gerhard Richter, les artistes ont depuis toujours produit des formes de recherche singulières.
3Le cadre actuel de la recherche académique s’ouvre à ces champs qui ont toujours été marginaux et radicalement indépendants. La notion de recherche de création a fait son apparition et semble convenir à la recherche artistique. Ce mouvement est fortement soutenu par les écoles d’art françaises qui sont en contact direct avec le milieu professionnel. Si beaucoup s’accordent à dire que la recherche de création se fonde sur la discussion, l’analyse et la contextualisation de ce qui est essentiel dans une œuvre contemporaine, sa production, cette spécificité reste en grande partie à définir.
4Au premier abord, le mélange entre une pensée analytique et l’engagement créatif du chercheur artiste semble s’opposer à une tradition académique moderne qui fait du rôle neutre du chercheur un critère essentiel de l’évaluation de sa démarche. Si cela est vrai dans de nombreuses disciplines, l’art n’est certainement pas la seule à avoir gardé, voire développé la place de la subjectivité issue de l’héritage humaniste. Reste que la distinction entre l’exercice de la recherche et la praxis de la production artistique soulève plusieurs questions complexes, non seulement sur la place du chercheur ou la validité de l’objet étudié, mais aussi sur le temps de la recherche et ce qu’on peut appeler un « résultat » en ce domaine. Résultat qui entretient toujours une relation complexe avec cet autre domaine important pour l’artiste chercheur qui est la production et la réception de son œuvre. Même dans les cas où la séparation de ces deux champs est la plus évidente – dans la relation entre la production écrite et théorique de Barnett Newman et son œuvre peinte par exemple –, la contamination de l’un par l’autre, loin d’être vue comme un enrichissement de la recherche, est souvent lue comme une limite au développement d’une recherche à proprement parler. L’artiste est plongé dans un milieu culturel qui est l’élément essentiel de sa démarche créative. Pour comprendre ce qu’est la recherche en art, il s’agit avant tout de comprendre quelle est cette richesse complexe, comment l’artiste se définit par rapport à ce bouillon de culture et comment cela se tisse avec le travail du chercheur.
Paru Dans Hermès, La Revue 2015/2 (n° 72), pages 53 à 61
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